Hommage à Marshall Rosenberg · Articles & interviews
Marshall Rosenberg, fondateur de la Communication NonViolente, est décédé le 7 février 2015. Michelle Guez, formatrice certifiée du CNVC (Center For NonViolent Communication) – que Marshall Rosenberg a créé pour diffuser le processus dans toute sa profondeur et sa puissance- se rappelle de sa première rencontre avec lui … et comment cela a transformé sa vie.
C’était en janvier 1996. J’ai participé pour la première fois à une conférence de Marshall Rosenberg à Paris. Elle était suivie d’une formation à la CNV. Je m’étais inscrite au « tout » avec un objectif professionnel très précis : apporter davantage de soutien aux participants des stages que j’animais en entreprise, depuis une douzaine d’années, sur le thème de « la prévention et la gestion des conflits en situation d’accueil ».
En moins de vingt minutes, j’ai compris que j’étais là pour moi, avant tout !
Ma première prise de conscience a été un véritable choc : j’ai compris que c’est dans mon enfance que j’avais appris à communiquer, par imitation, par mimétisme auprès des adultes. Tout à coup, je réalisais que j’avais un héritage éducatif fondé sur les rapports de force, les relations dominant/dominé, les réactions de rébellion / soumission, le jeu « qui a tort, qui a raison ». Et que ce système était en œuvre depuis des milliers d’années… Je cernais enfin l’origine des conflits, en moi, et autour de moi… !
Les mots de Marshall Rosenberg me transportaient dans un monde dont je pressentais les possibilités sans en avoir les clefs : « Chacun de nous, à tout moment a le pouvoir d’embellir la vie en donnant de façon bienveillante. C’est là, l’utilisation la plus gratifiante de notre pouvoir sur le plan humain. Lorsque nous nous relions de manière empathique avec ce qui est vivant en nous et vivant en l’autre, nous pouvons résoudre d’une façon pacifique n’importe quel conflit. »
Changer, c’est possible !
A ce moment-là de ma vie, je me sentais lasse et fatiguée des altercations et des conflits liés aux incompréhensions, aux jugements, aux interprétations, aux représentations de soi ou de l’autre, que c’était une question de santé pour moi d’aborder un autre chapitre de ma vie. Je voyais soudain l’urgence de me libérer de cette prison invisible, et pourtant réelle, à l’intérieur de moi. Et surtout, je venais d’avoir la révélation qu’une autre façon d’être en relation était possible, au-delà de ce que j’avais appris.
La citation, « La violence est l’expression tragique de besoins non reconnus, non satisfaits » a été la source de ma détermination : quel que soit le temps que cela prendrait, j’allais développer une autre conscience relationnelle pour me rendre la vie plus belle, partager cela autour de moi et transmettre le processus puissant et transformant de Marshall Rosenberg ! C’est ainsi que je prendrais ma part dans la transformation d’une société vers davantage de conscience et du respect de la vie, de nos besoins mutuels et de la paix…
Pourtant, je me disais parfois aussi : « c’est trop beau pour être vrai »… et je continuais encore et encore à me former pour vérifier si c’était réellement possible d’accéder à la proposition du paradigme de la Communication NonViolente…
Devenir vraiment vivant
Après plusieurs stages et participation à des groupes de pratique, avec essais et erreurs, ma façon de penser s’est transformée : je croyais, par exemple, qu’à force de thérapies diverses et variées, ma vie allait devenir zen… J’ai appris à accueillir ce qui se vit en moi grâce à la richesse de l’auto-empathie, et de l’écoute empathique. J’ai vérifié ce que disait Marshall : « La Vie consiste à rire de tous ses rires et pleurer de tous ses pleurs »…
En développant mes capacités d’observation, en apprenant pas à pas à « recycler » mes jugements en sentiments/besoins, un changement progressif et continu a produit les résultats bénéfiques, dont Marshall nous parlait : plus de patience avec moi et avec les autres, plus de bienveillance, une conscience plus fine de ma liberté de choix, de l’écoute mutuelle, l’équilibre dans donner/recevoir. Depuis, je constate que c’est ma façon de penser qui fait la pluie et le beau temps à l’intérieur de moi, instant après instant. Ainsi, j’ai la liberté de ralentir, de respirer, de ressentir, d’observer où j’en suis de mon intention et je peux clarifier ce que je vis et ce que vit l’autre.
En choisissant de partager ce processus à mon tour, ma confiance en la Vie continue de grandir et j’observe à quel point chacun de nous est « un diffuseur d’ambiance » grâce au processus de la CNV dont l’intention est de contribuer à la Vie, à une société réellement humaine.
Apprendre à agir AVEC l’autre
Au moment où j’écris ces lignes, je ressens une immense gratitude pour Marshall Rosenberg pour son être, sa pédagogie : simple, efficace, accessible et son infinie patience à dire et redire : « La qualité de la relation AVANT les résultats » et « quelle que soit l’action d’un être humain, il cherche à satisfaire ses besoins pour se maintenir en vie. Et, c’est… UNIVERSEL, indépendamment de sa culture, de ses opinions politiques, religieuses, éducatives ou de son âge ».
Je réalise qu’au moment de cette rencontre, j’étais dans la survie plus que dans la vie avec, cependant – et quelle chance pour moi – une forte motivation à découvrir la liberté de penser, de sentir, d’agir et d’apprendre à faire des choix conscients en cohérence avec mes aspirations. Au fond, j’aspirai à vivre plus de paix, plus de compréhension et je saturais de jouer à qui a tort qui a raison. Je ne savais pas, moi non plus, initier autre chose dans mes relations et je m’étais éloignée de certaines personnes. Il m’a fallu du temps pour « décoder » que cette habitude relationnelle contient des besoins importants : Reconnaissance, Appréciation ou tout simplement Aspiration à exister en s’appropriant sa place avec et parmi les autres.
La Communication NonViolente est arrivée au bon moment pour moi car je voulais vivre le pouvoir AVEC l’autre et, de moins en moins, le pouvoir SUR l’autre.
L’autre et moi sommes UN
Pour moi, il y a réellement un avant et un après cette « révélation » de la CNV, même si j’expérimente que, continuer de me pacifier et me « rendre la vie belle », est un co-apprentissage à vie grâce toutes les interactions du quotidien. Par exemple, aujourd’hui, je me donne l’autorisation d’agir à partir de la joie de contribuer et non par obligation ou par crainte des possibles conséquences… « If it’s not fun, don’t do it ! » – M.R.
En stage, j’appelle parfois la CNV, « Communication Naturelle et Vivifiante », tellement ce processus m’a rendu consciemment vivante et libre d’exercer des choix alignés avec mes valeurs.
Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est l’engagement de Marshall, la force de son message de réconciliation, le sens qu’il a choisi de donner à sa vie en transmettant ce processus au service du changement social. Il disait, avec humour, que son habitation principale était la compagnie Lufthansa tant il voyageait aux quatre coins du monde pour enseigner ce processus au service de la vie et de la paix. Pour lui, cela avait plus de sens de suivre cet élan de transmettre plutôt que d’accepter l’invitation d’amis à partager quelques jours de vacances.
Avec lui, j’ai appris la célébration et le deuil : chaque jour, Marshall dédiait un moment de son temps à la gratitude pour tous les cadeaux de la vie. Puis, il accueillait ce qui pleurait en lui de voir tant de souffrances dans le monde sachant que, malgré l’importance des ressources, tant d’êtres humains ne disposent pas du minimum vital.
Pour la première fois, je rencontrais un être humain qui incarnait cette conscience de l’UNITE. Il disait : « Quand j’écoute une personne, telle qu’elle est, quoi qu’elle exprime, j’évolue avec elle car je ne suis plus dans la séparation ». C’est cette conscience que « l’autre et moi sommes UN » qui permettait à Marshall de transmettre la CNV dans les prisons. Il avait ce talent de favoriser cette qualité de lien avec chacun car il rencontrait l’être humain au-delà de ses comportements.
Michelle Guez